CONCORDE

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Le programme Concorde fut lancé en 1962 en coopération entre British Aerospace et Sud-Aviation. Concorde, c'est-à-dire comme le dit la définition du dictionnaire « bonne entente et harmonie entre » l’industrie britannique et française.

Premier vol 

Le premier vol du Concorde était prévu à Toulouse, le dimanche 2 mars 1969. J'avais bien sûr prévu d'aller voir ce premier vol. J'habitais à Toulouse, rue Louis Vitet, et notre future maison était en construction à Blagnac. J'écoutais la radio en continu pour avoir les dernières informations. Dès le matin le pessimisme était de rigueur, car le brouillard était tenace. En tout début d'après-midi, le vent d'autan se leva. Mais ce vent d'est demandait en principe de décoller sur Toulouse, ce qui était interdit pour des raisons de sécurité. Dans ces conditions le premier vol était une fois de plus compromis. Vers trois heures de l'après-midi une radio indiqua que le vol n'aurait sans doute pas lieu. Alors nous partîmes à Blagnac, mais pas pour voir Concorde décoller, pour visiter le chantier de notre maison. En fin d'après-midi, nous repartons l'esprit tranquille et j'allume machinalement la radio. Et là qu'est-ce que j'entends : Alors Monsieur Turcat comment s'est passé le premier vol ? Je vous passe la suite. Nous avions manqué le premier vol alors que nous étions tout près de la piste. Et alors, puisque nous étions tout près pourquoi ne pas avoir entendu le bruit du décollage qui était plutôt intense. Tout simplement parce que  le vent d'antan soufflait et le décollage eut lieu dans le sens du vent. CQFD. Ainsi le CONCORDE 001 immatriculé F-WTSS, tout premier prototype du supersonique franco britannique, fit son premier vol qui dura 29 minutes. L'équipage était composé d' André Turcat, Jacques Guignard, Michel Rétif et Henri Perrier. Ce premier vol fut une parfaite réussite et permit d'effectuer en totalité le programme d'identification qui avait été fixé dans un domaine limité à 10 000 ft et 250 kt et sans manœuvrer ni le train, ni le nez basculant. Le seul élément technique significatif pour ce premier vol fut la perte successive de deux des trois groupes de conditionnement d'air. Le seul groupe restant ne suffisait pas à maintenir un débit de refroidissement convenable compte tenu de la dissipation calorifique de l'ensemble des équipements normaux et d'installation d'essais. Le programme, comme indiqué ci-dessus, avait été entièrement effectué, mais André Turcat aurait souhaité prolonger un peu le vol. Il dut l'abréger pour épargner les boîtiers électroniques qui ont de tout temps été considérés comme peu tolérants à de fortes températures internes. En arrivant sur le tarmac, André Turcat ouvrit la glace latérale du cockpit, car la température était, soit disant, insupportable.  Cette panne me concernait directement puisque j'étais le responsable (après mon chef) du système en cause. En fait, que s'était-il produit : une vanne double de prélèvement d'air (dont il est question dans le paragraphe suivant) ne s'ouvrit pas avant le décollage ce qui fit perdre un groupe et un deuxième groupe tomba en panne après le décollage. Cette vanne double, qui il faut le dire avait des conditions de fonctionnement très sévères, me donna beaucoup de soucis au cours du développement. Alors que je travaillais sur Airbus, mes collègues eurent encore beaucoup de soucis avec cet équipement et durent trouver un autre fournisseur qui ma foi ne s'en sortit pas si mal. 

Du premier vol, j'ai tout de même un précieux souvenir : l'enveloppe du premier vol éditée depuis le conseil de l'Europe :

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Cliquez sur l'enveloppe pour l'agrandir

Système de climatisation

Dès le lancement du programme Concorde, j’ai été affecté à la climatisation de cet appareil et plus particulièrement à la génération d’air. Cela mérite une explication. Je vais essayer de faire simple pour que tout le monde comprenne. La climatisation est assurée normalement par quatre groupes identiques et indépendants : voir ci-dessous schéma simplifié d'un groupe 

 

Chaque groupe utilise l’air prélevé sur un réacteur (prélèvement GTR sur le schéma) avec intercommunication pour pallier le cas de panne. Ainsi, au niveau de chaque réacteur, l’air est prélevé au 5e étage du compresseur haute pression à une température voisine de 550°C à Mach=2,2 (pouvant atteindre 610°C) avec une pression de 230 psi (1 psi = 70 hPa) à travers un clapet anti-retour et une vanne double (voir photo) limitant la pression à 65 psi. 

L’air passe ensuite dans l'échangeur primaire (de conception identique à l'échangeur secondaire (voir ci-dessous) d'où il ressort aux alentours de 200°C. L'air traverse ensuite un filtre à particules radioactives[1],

 avant de pénétrer dans le compresseur du groupe turbo-refroidisseur (nommé "bootstrap" par les britanniques et CAU "cold air unit" sur le schéma) qui comprend un compresseur et une turbine montée sur le même axe (voir photo)

À la sortie du compresseur l'air qui a été réchauffé (environ 300°C) pénètre dans l'échangeur secondaire air/air (voir photo)

puis dans l'échangeur air/carburant  (voir photo) d'où il ressort aux alentours de 80°C. 

Il traverse ensuite un centrifugeur d'eau qui élimine les particules d'eau pour éviter l'érosion des injecteurs et des pales de la turbine, puis passe par la turbine du turbo-refroidisseur qui refroidit l’air en fonction de la demande de la cabine (jusqu’à – 25°). Lorsque l’air est humide (altitudes basses et moyennes), l’eau présente dans l’air froid se condense. Pour éviter d’envoyer du brouillard dans la cabine, l’eau est éliminée par un séparateur d’eau (voir photo). Comme vous pouvez le constater cet équipement était très bien isolé pour ne pas perdre le bénéfice du refroidissement important de l'air.

Anecdote sur ce séparateur d'eau. Lors des premiers essais d'épreuve sur avion, cet équipement  explosa. J'étais en vacances et on fit appel à mes connaissances. Le programmes d'essais était incorrect. Heureusement je n'avais aucune responsabilité, car le service qualité avait rédigé le programme d'essai sans me consulter.

Dans un site Internet sur Concorde, il est écrit : « En domaine de vol subsonique, il faut réchauffer la cabine, par contre en supersonique c'est l'inverse, il faut refroidir la cabine. » Ceci est faux. Avec l’isolation thermique de l’appareil, l’influence de la température de peau n’est pas primordiale. Le dégagement thermique des passagers (75 watts par passager au repos soit 7,5 Kilowatts pour 100 passagers) est tel qu'en vol subsonique il faut refroidir la cabine même lorsque celle-ci n'est pas entièrement pleine. Sur Concorde, à cause du bruit de couche limite important, l’isolation a été particulièrement soignée ce qui diminue d'autant la capacité frigorifique à fournir. La particularité de Concorde est ailleurs. Si l’air extérieur est très froid à l’altitude de vol de l’avion (environ – 50°C), pour Concorde à cause de la compression due à la vitesse de Mach 2, l’air se retrouve plutôt chaud (jusqu’à 125°C) à l’entrée des échangeurs. Cette particularité entraîne deux conséquences jamais rencontrées sur les avions subsoniques existants. 

Premièrement, il était nécessaire d’aller chercher la source la plus froide présente sur l’avion, c'est-à-dire le carburant. Ainsi, un échangeur air/carburant était installé ce qui n’avait jamais été réalisé. Vu les températures rencontrées, pour éviter toute explosion, cet échangeur devait être conçu de telle sorte que le carburant et l’air ne puissent pas être en contact en cas de fuite. Ceci a été réalisé par une triple paroi avec espace intermédiaire dont la fuite éventuelle est détectée et rejetée à l’extérieur de l’avion.  

Deuxièmement, le groupe turbo-refroidisseur devait avoir des performances améliorées, car le carburant n’est pas aussi froid que l’air utilisé dans les avions subsoniques. Ainsi, la machine devait être dimensionnée pour atteindre une vitesse jamais atteinte de 60000 tours par minute (imaginez 1000 tours par seconde). Cette machine tournante devait en outre résister à l’éclatement, ce qui n’était pas une mince affaire avec cette vitesse. 

La machine tournante a été conçue et fabriquée par une société anglaise et l’échangeur par une société américaine (USA). Il faut s’imaginer que ces deux équipements sont tout à fait exceptionnels et ont demandé une conception et une mise au point particulière à cause des conditions de l’avion supersonique. Cela m’a valu de nombreux déplacements dans ces deux pays.

La régulation de température est effectuée indépendamment sur chaque groupe par une vanne de régulation qui permet le mélange de l'air chaud (80°C) et d'air froid (-25°C) entre l'entrée et la sortie du turbo-refroidisseur.  

Remarque : Sur un autre site Internet on peut lire : "Sur un avion classique, la seule fonction d'un tel système est de réchauffer l'air de la cabine. Il s'agissait ici (sur Concorde) aussi de le refroidir car, la "peau" de l'avion étant au-dessus de 1000 degrés." On retrouve la même erreur que celle indiquée ci-dessus, mais en plus l'erreur sur la température de la peau est énorme : 150°C et non 1000°C. 

Étude de panne. L'avion Concorde est le premier avion sur lequel a été fait une étude de panne avec des objectifs de fiabilité fixés par les Services Officiels. Dans ce domaine tout était à faire et un service a été créé pour aider et contrôler les spécialistes. J'ai bien sûr pour ma part fait l'analyse du système de génération d'air de la climatisation. Ce ne fut pas une mince affaire. Elle a fait partie des documents de certification et a fait l'objet d'une approbation des Services Officiels au même titre que toutes les autres  justifications. Pour la petite histoire, les ingénieurs du CEA (Commissariat à l'Énergie Atomique) sont venus nous consulter lorsqu'ils ont été contraints eux aussi par les autorités de faire des analyses de panne et de sécurité. L'aviation avait une longueur d'avance sur l'Énergie atomique !!!

Un vol inoubliable

J’ai volé une fois et une seule sur Concorde. Le but était un vol de performance du présérie 02. Attachez vos ceintures, je vous invite à bord du Concorde pour un vol inoubliable.

La route suivie par l’appareil nous avait été remise avant le décollage de l’avion (voir photo ci-après).

En résumé : de Toulouse, l’avion prit le cap vers la Méditerranée jusqu’au large de la Libye. Là, l’avion effectuait un très grand virage de 360° à Mach 2 (pour que l'avion puisse maintenir la vitesse) et retour sur Toulouse.

- Je m’installe sur le siège B8, à côté d’un hublot. Les hublots sur cet avion sont très petits : 10 x 15 cm (format A5 environ). À l’altitude maximale de vol de 18 km, lors d’une rupture d’un hublot, avec la dépressurisation, notre sang bouillonnerait dans notre corps. Une descente ultra rapide est donc nécessaire. La dimension a été calculée pour que lors de cette descente, la dépressurisation qui s’en suit ne donne pas de conséquence catastrophique. Le calcul a été fait par le département dont je faisais partie. Tout le système de contrôle de pression cabine de l’avion (principe, dimensionnement, analyse de panne et analyse de sécurité) a d’ailleurs été conçu dans ce même objectif.

- À 9H27, mise en route des 4 réacteurs. Le nez est abaissé à 5° pour que les pilotes aient une vue normale sur l’environnement du vol. Accélération de 0 à 400 km/h en 30 secondes. La post-combustion[2] est allumée pour avoir des performances de décollage acceptables. Le décollage a lieu à 9H27. Angle de montée : 13,5°.

- Coupure post-combustion après le décollage. Le niveau de bruit dans la cabine diminue de façon sensible.

- À 9H35, transfert de carburant d’avant en arrière. Cela mérite une petite explication. La majeure partie des 117 000 litres de kérosène est entreposée dans des réservoirs structuraux situés dans les ailes et sous le plancher de la cabine. Mais des réservoirs de centrage disposés en avant de l'emplanture et dans la partie arrière du fuselage permettent, grâce à un circuit de transfert de carburant, de déplacer d'avant en arrière le centre de gravité de l'avion de façon que son mouvement épouse celui du point d'application de la résultante des forces aérodynamiques et améliorent ainsi la performance de l’avion. Ainsi, pendant la phase d'accélération transsonique, le carburant est expédié des réservoirs de centrage avant vers les réservoirs principaux et le réservoir de centrage arrière. À la fin de la phase de croisière supersonique, le contenu de ce dernier est ramené vers l'avant, le centre de portance se déplaçant dans le même sens.

- À 9H38, remise du nez dans l’axe, remise en marche de la post-combustion et accélération. Dans la phase transsonique (entre Mach 1 et Mach 1.6), les phénomènes aérodynamiques entraînent une forte augmentation de la résistance de l'air. Pour passer cette phase, l'avion a donc besoin de la post-combustion pour avoir une poussée plus importante.

- À 9H39, je ressens à peine une légère accélération (2 petites impulsions à une seconde d'intervalle). Et pourtant, c'est à ce moment que nous franchissons le « mur du son », le machmètre indique bien Mach 1. Désormais, le Bang (parfois un double Bang) produit par l’avion volant à vitesse supersonique peut être perçu par les populations que nous survolons, c'est-à-dire seulement quelques bateaux qui naviguent dans la mer Méditerranée au-dessous de nous. On le sait tous, passer le mur du son, c'est aller plus vite que le son, c'est-à-dire 340 m/s au niveau du sol. Au fait, savez-vous que le claquement d’un fouet est la manifestation du passage du mur du son pour son extrémité ?

- À 9H49, le mach est de 1,92 et la vitesse sol est de 2000 km/h.

- Mach 2 est atteint à 10H03[3].

- Puis l’avion reste à Mach constant. Vol au sud de la Sardaigne à 10H03.

- À 10H17 vol au sud de la Sicile et à 10H22, passage au-dessus de l’Etna en activité, avec son panache de fumée. Depuis l’avion qui vole en croisière à une altitude de 18000 mètres, la Sicile, d’une superficie de 25700 km2, apparaît comme un petit îlot perdu dans la mer et l’Etna qui culmine à 3295mètres apparaît comme un monticule de forme conique assez insignifiant. C’est fou ce que l’altitude peut aplatir les paysages. Par contre en s’éloignant, et paradoxalement, l’Etna me parut grandir et redevenir un magnifique volcan aux formes élancées.

- À 10H33, l’avion amorce le virage au large de Benghazi.

- Passage au nord de l’île de Malte à 10H47, au nord du cap Bon à 10H57, au sud de la Sardaigne à 11H06.

- Début de descente à 11H17 Transfert de carburant vers l’avant et réduction des gaz, vitesse de descente de 30 m/s (108 km/h).

- 11H20, M=1,69 ;

- 11H24, M=1,24 , descente rapide avec deux inverseurs de poussée enclenchés. Le mach diminue allègrement : 11H26, M=1 ; 11H27 nez abaissé à 15°, 11H36, M=0,64 ;

Nota : à 11H25 on aperçoit la côte espagnole et en particulier Rosas et Estartit où nous passions nos vacances à cette époque.

- Palier à 3000 mètres à M=0,47 jusqu’à 11H43 .

- À 11H50, pilote automatique et auto-manette [4]enclenchés. Nez abaissé à 12,5°, train d’atterrissage sorti.

- À 11H52, le pilote effectue l’arrondi avec une sensation jamais enregistrée sur les appareils subsoniques. Enfin, c’est l’atterrissage en douceur, mais la sortie des inverseurs de poussée donne quelques vibrations.

La plupart de ces informations proviennent d’un petit bout de papier (voir photo) où j’avais noté le déroulement du vol, en fonction des informations données par l’équipage et de mes propres constatations : vision extérieure et indication du machmètre installé sur la cloison avant de la cabine. J’ai ajouté quelques informations techniques supplémentaires.

Sur mon bout de papier, j’ai aussi noté : « Total 2121 km » (donnée fournie sans doute par l’équipage à la fin du vol). Le temps de vol a été de 2H25 dont 1H47 en supersonique, comparé à 3H26 dont 2H54 en supersonique lors d’un vol Paris/New York.

 

 

   

Nota : Je remercie Henri Perrier, Ingénieur navigant d'essais lors du premier vol de Concorde. de m'avoir permis de corriger certaines erreurs de ce paragraphe présentes lors de sa première parution.

Anecdotes : Mes démêlés avec mon chef.

Mon chef avait pour la première fois de sa vie à diriger une équipe de nombreux jeunes ingénieurs. Il ne nous laissait que très peu de responsabilités. J’étais un jeune diplômé, plein d’ambition et je n’acceptais pas ses méthodes. Notre bureau était installé comme une salle de classe. Le bureau du chef était face à ses « élèves, collaborateurs » et la surveillance était de tous les instants. Je me souviens d’une intervention du « boss » qui se précipite vers un de mes collègues en disant :

- Que faites-vous ? Et Pierre lui répond :

-Eh bien je réfléchis ! Alors, le chef lui dit sèchement :

- On ne réfléchit pas jeune homme, on travaille.

Voici d’autres exemples pour montrer qu’il fallait être vraiment fort pour ne pas craquer.

Je commence par ce qui était le plus pénible à supporter : notre chef contrôlait minutieusement tout notre travail. La méthode était en plus tout à fait insupportable. Nous étions en face de lui dans son bureau. Il traçait deux lignes rapprochées verticales dans la marge de notre brouillon et vérifiait mot après mot, phrase après phrase. Après qu’une ligne était vérifiée, il la cochait dans la marge par un petit trait. Imaginez ce qui se passait dans ma tête. Je considérais cela comme le comble de l’inefficacité. Comme j’étais chargé d’écrire les spécifications techniques de tous les équipements du système de génération d’air et de climatisation du Concorde, j’étais sans doute celui qui passait le plus de temps en tête à tête avec lui.

Séparateur d’eau

Un jour, on vérifiait la spécification technique du séparateur d’eau (dont la fonction a été donnée plus haut). Ainsi, le premier chapitre de la spécification se nommait « but ». J’avais écrit : « Le séparateur d’eau extrait l’eau de l’air qui la contenait ». Alors, mon chef me dit « Pourquoi écrivez-vous extrait et non sépare ». Je lui réponds : « Pour ne pas répéter, séparateur et sépare, c’est la même chose ». Il se retourne va dans son armoire et prend le petit Larousse illustré. Puis il lit : « Extraire : Retirer une substance d’une autre qui la contenait ». Alors, je triomphe : « Voyez, c’est tout à fait ça ». Mon chef range son dictionnaire et me dit : « Sachez jeune homme que le dictionnaire n’a pas toujours raison » et il poursuit : « Écrivez : le séparateur d’eau sépare l’eau de l’air qui la contenait ». Cela peut sembler impossible ou porter à rire aujourd’hui. Pourtant, c’est la triste réalité que j’ai eu beaucoup de mal à vivre.

Récupérateur d’eau

Dans le domaine purement technique, notre chef décidait sans tenir compte de notre avis. Je vous donne un exemple parmi tant d’autres. Ainsi, il imposa de mettre des récupérateurs d’eau aux points bas d’une tuyauterie pour soit disant récupérer l’eau de condensation lors de l’arrêt de l’avion. Il était évident que la petite quantité d’eau condensée était rapidement évaporée en raison des températures élevées qui régnaient dans la tuyauterie pendant tout le vol. Il ne voulut rien entendre. Quelques années après la certification de l’avion, j’avais un peu plus de compétence, et je fus persuadé qu’il fallait faire quelque chose. Je fis une proposition de simplification avec un dossier de justification très poussé. J’arrivais à la faire passer en commission de modifications sans que mon chef soit au courant. Elle reçut très facilement l’agrément de la commission et fut appliquée sur les avions en production et en raison du gain de masse important elle fut également proposée en rattrapage.

Essais au Centre d’essai aéronautique de Toulouse (CEAT),

Pour terminer, je ne peux passer sous silence la façon dont il nous fit gérer les essais. Sachez que pour Concorde il y eut trois définitions différentes : le prototype, la présérie et la série. Il y eut des différences, mais elles étaient très petites et très localisées. Il aurait donc suffi de tester les différences pour vérifier la validité des modifications. Notre chef nous imposa de recommencer chaque fois la totalité des essais. Quel gâchis ! Il faut dire que le contrôle des budgets était pratiquement inexistant. Nous étions à l’époque des grands projets pour la grandeur de la France lors de la présidence du général de Gaule. Les abattoirs de La Villette en faisaient également partie. Le contribuable payait sans rechigner ou presque. J’ai souvent imaginé qu’avec l’argent économisé on aurait pu développer la Caravelle qu’on avait arrêtée. Le DC 9 de Douglas qui utilisa nos brevets eut une carrière très longue et très brillante. Heureusement, il n’en fut pas de même avec Airbus, qui sans cela n’aurait pas eu le succès qu’on connaît.

Les syndicats du CEAT eurent aussi leurs exigences et imposèrent parfois des mesures de sécurité supplémentaires par rapport à l’avion qui firent augmenter de façon considérable le devis des essais. Ceci fut en particulier le cas pour l’échangeur air/carburant dont il est question plus haut.

Calcul des échangeurs

Le système de génération d’air comportait trois échangeurs. L’échangeur primaire était situé au-dessus du moteur dans un espace qui était modifié constamment. Chaque fois, le dimensionnement de l’échangeur était à refaire. Le temps de réponse devant être court, il fut décidé que je devais mettre au point un calcul des dimensions de l’échangeur. Très vite, je me tournais vers l’informatique qui en était à ses débuts. En langage Fortran, avec le spécialiste informatique de l’Aérospatiale, un programme de calcul fut mis au point avec beaucoup de difficultés. Au début, les calculs divergeaient et je recevais le listing du calcul qui faisait 15 CM de haut et qui ne donnait pas le résultat escompté. Heureusement, un temps maximum de calcul arrêtait la machine qui sans cela aurait tourné toute la nuit[5] avec le même résultat nul. Mon chef avait une confiance très limitée dans mes calculs ; il demanda un jour au fournisseur de calculer un échangeur que j’avais déjà calculé avec mon programme. Les résultats étaient comparables et c’est seulement après cette péripétie que mon chef fut confiant dans mes calculs.  


Concorde et Caravelle dessinés par une de mes filles.

avec cette légende :


[1] Particules radioactives présentes à l’altitude de croisière de Concorde.

[2] La post-combustion est réalisée par une pompe et un régulateur de carburant haute pression qui envoie du carburant dans les gaz d'échappement du moteur et qui ainsi augmente la poussée.

[3] Mach 2 atteint après 36 minutes de vol. Dans le vol type Paris-New York mach 2 est atteint après 1 heure de vol en raison d’une masse au décollage supérieure.

[4] cette fonction de gestion de la poussée des moteurs vise à maintenir la vitesse de l’avion sur une vitesse de consigne

[5] Le calcul se faisait la nuit, car le temps de calcul, même convergeant, était long.

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