Guerre 39-45
Le 3 septembre 1939, j’avais un peu plus de deux ans, lorsque la France déclare la guerre à l’Allemagne qui vient d’envahir la Pologne. Mon grand-père Auguste venait de mourir. Je n’ai aucun souvenir de ces deux évènements.
Lautrec 1942
Le 11 novembre
de cette année là les Allemands envahissent la zone libre. J’imagine que c’était
quelques jours après, trois avions rasent les toits de Lautrec (où je suis né
le 26 avril 1937). J’étais sur la place du monument (où j’habitais alors).
Je n'avais que 5 ans, mais je me rappelle avoir été très impressionné par le
bruit infernal de ces avions. Mais il y eut alors un autre fait qui
m'impressionna tout autant. En effet, au moment où ces avions passaient, Pierre
Fabre, le fils du cafetier de cette même place, sortit de chez lui et invectiva
les Allemands dans des termes qui me choquèrent, mais j’avoue ne pas être
capable d’en répéter un traître mot. Ce pauvre Pierre s’engagea dans le
maquis dans les jours qui suivirent. Malheureusement, il mourut quelques mois
plus tard lors d’une attaque fomentée contre une colonne allemande, il avait
vingt ans. Il était fils unique, je pense souvent à lui et à ses pauvres
parents.
Une réprimande pour un service rendu.
Un
autre souvenir est relatif aux restrictions qui furent imposées aux Français
à cause de la guerre. Dans ce domaine, à Lautrec, nous étions privilégiés.
J'habitais alors sur la place Centrale, c’était donc après 1943. Je
jouais avec des camarades et une dame que je ne connaissais pas me demanda si je
pouvais aller lui acheter une miche de pain. À sept ou huit ans, on ne réalise
pas la situation. Je prenais l’argent et j’allais acheter ce qu’on
m’avait demandé. La boulangère qui me connaissait me donna la miche, me
rendit la monnaie e je partis donner la marchandise. Mais la boulangère se
doutait peut-être de quelque chose et elle me vit donner la miche à la dame.
Je peux vous dire que j’eus droit à une réprimande dont je me souviendrai
toute ma vie. Est-ce que j’étais vraiment responsable ? Je pense que
non, mais j’avais bien retenu la leçon. En effet à deux ou trois reprises on
me demanda le même service et je refusais prestement.
Parachutages secrets.
Il
y aussi un souvenir que je n’ai vraiment compris que quelques années après.
À certaines périodes, mon père et deux ou trois autres personnes écoutaient
la radio de façon bizarre et je ne comprenait pas pourquoi. La radio égrainait
des phrases qui ne voulaient rien dire et surtout qui n’avaient aucun lien
entre eux. Pourquoi écoutaient-ils cette radio débile ? Le son était
faible et pour pouvoir entendre ils étaient agglutinés sur le poste. Pourquoi
ne montaient-ils pas le son ? Ils auraient pu alors écouter le poste à
distance raisonnable. Pourquoi, tout d’un coup ils n’écoutaient plus alors
que le poste continuait à débiter ces phrases insensées ? Les jours
suivants, il se passait des choses étranges à la maison. Ma mère et ma sœur
s’enfermaient dans la chambre de mes parents et je ne pouvais pas savoir ce
qu’elles faisaient. Mes questions restaient sans réponses. Mais que se
passait-il donc ? Eh bien, on attendait un certain message (ma sœur se
souvient d’un ce ceux-là : « La grenouille verte aux yeux bleus »)
qui signifiait qu’un parachutage d’armes allait avoir lieu cette nuit sur le
Causse, un plateau qui à l’ouest domine Lautrec. Mon père allait avec ses
compères réceptionner le matériel et dans la foulée ils camouflaient ces
armes et autres matériels dans un chargement de fourrage. Dès le lendemain,
mon père transportait le tout au maquis. Un jour on le fit arrêter et on
fouilla le camion. On passa même des piques dans le chargement pour savoir si
rien n’était caché à l’intérieur. Par chance les piques passèrent à
l’extérieur du matériel et mon père put continuer sa livraison sans
encombre. Mais que se passait-il dans la chambre ? On démontait le
parachute en panneaux qu’on camouflait dans un placard de la maison avant de
l’enterrer dans le jardin. Un jour je surpris mon père retirer des tissus de
ce fameux placard avec encore pour moi, un questionnement sans réponse.
Une colonne passe.
C'était une belle journée de début de l'été qui s'annonçait. L'après-midi s'écoulait tranquillement. J'étais dans ma chambre qui était au premier étage et qui donnait sur la rue de la mairie. Les fenêtres étaient grandes ouvertes et un bruit intense dans la rue attira mon attention. Une colonne allemande passait. Elle me terrifia. Ces nombreux camions emplis de troupes puissamment armées dans cette rue étroite étaient vraiment un spectacle terrifiant pour le jeune enfant que j'étais. Je descendis rapidement parmi les miens pour chercher une protection. Peine perdue. Je ressentis que ma mère et ma sœur étaient dans un état bizarre que je qualifierai aujourd'hui d'anxiété, mais qui me mit encore plus mal à l'aise. Le parachutage qui avait eu lieu quelques jours auparavant ne devait pas être étranger à cette peur. On sut plus tard que suite à une dénonciation, la colonne allemande allait arrêter des maquisards dans une ferme où on faisait les battages. Cette opération se solda par un échec pour les Fritz car les camions de la colonne allemande furent repérés assez tôt pour permettre aux francs-tireurs de s'échapper, mais le gendre de la ferme paya un lourd tribut dans cette opération.
Le pont brûle.
Lautrec est sur un colline. La gare se situe sur la route de Castres à quelques kilomètres du village et le chemin de fer qui relie Albi à Castres passe dans la plaine. Les croisements avec les routes se font généralement par passage à niveau sauf en deux points : un pont où la route est au dessus de la voie sur la route de Castres et un pont où au contraire la voie est au dessus de la route de Réalmont. C'est ce dernier pont situé à la "Prades" qui fut plusieurs fois la cible des maquisards lorsque des convois allemands transportant du matériel stratégique passaient par là. Trois fois le pont sauta, mais jamais au passage du train toujours avant et même quelques heures avant. Nous ne saurons jamais pourquoi ? La technique n'était-elle pas assez sophistiquée pour faire sauter le train à son passage ? Ou bien la détection du dispositif aurait pu faire échouer l'opération et le plus important était peut-être que la cargaison n'arrive pas à bon port. À chaque fois le pont fut rétabli par un échafaudage de traverses de chemin de fer qui reposaient sur la route. Le passage sous le pont était possible uniquement pour les piétons et les véhicules à deux roues. La dernière fois le pont fut détruit en mettant le feu fut à ces traverses et cela donna un spectacle impressionnant depuis le village. Mais quelques heures après les habitants n'en menait pas large, car deux camions allemands arrivèrent. On craignait que des sanctions soient prises à cause de la destruction du pont. Après avoir parcouru les rues dans tous les sens, ils repartirent et le soulagement fut immense.
Bombardement sur
Toulouse.
En
avril 1944, les escadrilles anglo-américaines bombardaient Toulouse. Pendant
plusieurs soirs, depuis le Mercadial[1],
j'ai pu voir ces bombardements avec mes parents. L'assistance était
nombreuse et bruyante. L'horizon rougeoyait à intervalle régulier, le
spectacle était impressionnant. Quelques années après des personnes m'ont dit
avoir cauchemardé à la suite des peurs ressenties dans ces nuits-là, mais
j'avoue ne pas me souvenir d'avoir rien eu de tel
La fête de l'armistice.
J'ai
un souvenir assez précis d'une fête qui se passait peu après l'armistice. Je
revois très bien la scène. Une remorque en guise d'estrade était située sur
la place centrale en face de la maison de cette personne que nous appelions la
mage[2]
à cause de son accoutrement et de ses paroles souvent ésotériques.
Joseph Laroche.
Joseph
était le fils de ma marraine, mais nous n'avions aucun lien de parenté. Sa mère
Albertine était ma marraine, car elle me baptisa alors que j'étais considéré
à l'article de la mort (heureusement à tort). Joseph était pasteur de l'Église
réformée de France depuis très peu de temps, il avait vingt quatre ans. Il
fut arrêté, car il était dans un réseau qui cachait des juifs. Il fut déporté
au Camp de Concentration de Gusen-Mauthausen en Autriche. On ne le revit plus,
mort des suites des mauvais traitements [3]
et du travail forcé à la carrière de pierre ou exterminé dans les chambres
à gaz. Sur le caveau de famille au cimetière de Lautrec, j'ai toujours un
serrement au cœur quand je vois sa photo et son sinistre parcours. La date
du 5 février 1945 est donnée comme date de son décès alors que trois mois
plus tard, le 5 mai 1945, les 3 camps de Gusen furent libérés par le groupe de
reconnaissance du sergent Albert J.Kosiek. Près de 37.000 déportés moururent
à Gusen, ce qui représente près d'un tiers de tous les morts recensés dans
tous les camps et camps annexes situés en Autriche.
Le MINISTÈRE DES ANCIENS COMBATTANTS ET VICTIMES DE GUERRE attendra le 17 septembre 1993 pour indiquer à la page 13032 du JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE :
« Par arrêté du ministre des anciens combattants et victimes de guerre en date du 2 août 1993, il est décidé d’apposer la mention «Mort en déportation» sur les actes de décès de :
Laroche (Joseph, Abel, Albert, Bernard), né le 24 mai 1921 à Lautrec (Tarn), décédé le 5 février 1945 à Mauthausen (Autriche). »
[1] Place en forme de terrasse qui domine la plaine de l'Agoût. Ombragée par des ormeaux, cette place où se déroulent les fêtes du village est des plus pittoresques. L'origine du nom est occitane : mercat : marché et dia : quotidien, donc sans doute où se tenait le marché quotidiennement.
[2] Bien que ce substantif soit masculin nous l'avions féminisé
[3] Note
: Une des "spécialités" de ce camp était les "Todebadeaktionen"
(action bains de la mort). Cette méthode de meurtre fut l'idée du sergent
SS Jentzsch et le capitaine SS Chmielewski reprit l'idée avec enthousiasme et la mit
en pratique. Les prisonniers destinés au bain étaient sélectionnés
durant l'appel: des malades et inaptes au travail. Ces prisonniers étaient
conduits dans la "salle de bain" et devaient se placer en dessous
des douches. De l'eau glaciale à haute pression était alors envoyée
sur eux. La température des corps baissait et entraînait une longue
agonie. Les déportés mettaient souvent plus d'une demi-heure pour mourir,
dans d'atroce souffrances.
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